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)î(UNE SI LONGUE LETTRE )î(
7 mai 2020

Mariama BA : Une Si Longue Lettre 01

MB-USLL-0 - (1)

A Abibatou Niang, femme de vertu et de rigueur qui partage mes émotions.

A Annette d’ Erneville, femme de tête et de cœur,

A toutes les femmes et aux hommes de bonne volonté.

Mariama Ba :Une si longue lettre 01

Aissatou,

J’ai reçu ton mot. En guise de réponse, j’ouvre ce cahier, point d’appui dans mon désarroi : notre longue pratique m’a enseignée que la confidence noie la douleur.

Ton existence dans ma vie n’est point hasard. Nos grandes mères dont les concessions étaient séparées par une tapade, échangeaient journellement des messages.

 Nos mères se disputaient la garde de nos oncles et tantes. Nous, nous avons usé pagnes et sandales sur le même chemin caillouteux de l’école coranique .Nous avons enfoui dans les mêmes trous, nos dents de lait, en implorant Fée- souris de nous les restituer plus belles.

Si les rêves meurent en traversant les ans et les réalités je garde intact mes souvenirs, sel de ma mémoire.

Je t’invoque, le passé renait avec son cortège d’émotions. Je ferme les yeux. Flux et reflux de sensation : chaleur et éblouissement, les feux de bois ; délice dans notre bouche gourmande, la mangue verte pimentée, mordue à tour de rôle.

Je ferme les yeux. Flux et reflux d’images, visage ocre de ta mère constellé de gouttelettes de sueur, à la sortie des cuisines, procession jacassante des fillettes trempées, revenant des fontaines.

Le même parcours nous a conduites de l’adolescence à la maturité où le passé féconde le présent.

Amie, amie, amie ! je t’appelle trois fois. Hier, tu as divorcé .aujourd’hui, je suis veuve.

Modou est mort. Comment te raconter ?on ne prend pas de rendez vous avec le destin. Le destin empoigne qui il veut, quand il veut. Dans le sens de vos désirs, il vous apporte plénitude. Mais le plus souvent, il déséquilibre et heurte. Alors, on subit ? J’ai subi le coup de téléphone qui bouleverse ma vie.

Un taxi hélé ! vite ! Ma gorge sèche. Dans ma poitrine une boule immobile. vite !plus vite ! Enfin l’hôpital ! L’odeur des suppurations et de l’éther mêlés. L’hôpital ! Des visages crispés, une escorte larmoyante de gens connus ou inconnus, témoins malgré eux de l’atroce tragédie. Un couloir qui s’étire, qui n’en finit pas de s’étirer .au bout, une chambre. Dans la chambre, un lit.

 Sur ce lit Modou étendu, déjà isolé du monde des vivants par un drap blanc qui l’enveloppe entièrement. Une main s’avance, tremblante, et découvre le corps lentement. Dans le désordre d’une chemise bleue à fines rayures, la poitrine apparaît, velue, à jamais tranquille. Ce visage figé dans la douleur et la surprise est bien sien, bien sien ce front dégarni, cette bouche entr’ouverte. Je veux saisir sa main .Mais on m’éloigne.

J’entends Mawdo, son ami médecin m’expliquer : crise cardiaque foudroyante survenue à son bureau alors qu’il dictait une lettre. La secrétaire a eu la présence d’esprit de m’appeler. Mawdo redit son arrivée tardive avec l’ambulance. Je pense « le médecin après la mort ».Il mime le massage du cœur effectué ainsi que l’inutile bouche à bouche. Je pense encore : massage du cœur, bouche à bouche, armes dérisoires contre la volonté divine.

J’écoute des mots qui créent autour de moi une atmosphère nouvelle ou j’évolue, étrangère et crucifiée. La mort, passage ténu entre deux mondes opposés, l’un tumultueux, l’autre immobile.

Où me coucher ? Le bel âge a ses exigences de dignité. Je m’accroche à mon chapelet. Je l’égrène avec ardeur en demeurant debout sur des jambes molles. Mes reins battent la cadence de l’enfantement.

Tranches de ma vie jaillies inopinément de ma pensée, versets grandioses du coran, paroles nobles consolatrices se disputent mon attention.

Miracle joyeux de la naissance, miracle ténébreux de la mort .Entre les deux, une vie, un destin, dit Mawdo Ba.

Je regarde fixement Mawdo. Il me parait plus grand que de coutume dans sa blouse blanche. Je le trouve maigre. Ses yeux rougis témoignent de quarante années d’amitié. J’apprécie ses mains d’une beauté racée, d’une finesse absolue, mains souples habituées à dépister le mal. Ces mains là, mues par l’amitié et une science rigoureuse, n’ont pu sauver l’ami.

 

Offert Par Safiétou GUEYE ,

)i(une chenille devenue un papillon grâce à ce livre)i(

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  • Un roman épistolaire où Ramatoulaye Fall raconte à Aissatou, son amie de longue date, son veuvage et sa vie de femme, de mère. Ce roman célèbre aborde le statut des femmes au Sénégal et plus largement en Afrique de l’Ouest.
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