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)î(UNE SI LONGUE LETTRE )î(
11 mai 2020

Mariama BA : Une Si Longue Lettre 13

 

MB-USLL-0 - (13)

A Abibatou Niang, femme de vertu et de rigueur qui partage mes émotions.

A Annette d’ Erneville, femme de tête et de cœur,

A toutes les femmes et aux hommes de bonne volonté

 Mariama Ba : Une Si Longue Lettre 13

Mon drame survint trois ans après le tien. Mais, contrairement à ton cas, le point de départ ne fut pas ma belle famille. Le drame prit racine en Modou même, mon mari.

Ma fille Daba, préparant son baccalauréat, emmenait souvent à la maison des campagnes d’études. Le plus souvent, c’était la même jeune fille, un peu timide, frêle, mal à l’aise, visiblement dans notre cadre de vie. Mais comme elle était jolie à la sortie de l’enfance, dans ses vêtements délavés, mais propres ! Sa beauté resplendissait, pure. Les courbes harmonieuses de son corps ne pouvaient pas passer inaperçues.

Je voyais, parfois Modou s’intéresser au tandem. je ne m’inquiétais nullement, non plus lorsque je l’entendais se proposer pour ramener Binetou en voiture, « à cause de l’heure tardive », disait-il.

Binetou, cependant, se métamorphosait .elle portait maintenant des robes prêt-à- porter très coûteuses .Elle expliquait à ma fille en riant «  je tire leur prix de la poche d’un vieux. »

Puis, un jour, en revenant de l’école, Daba m’avoua que Binetou avait un sérieux problème :

«  Le vieux des robes –prêt à porter-veut épouser Binetou. Imagine un peu. Ses parents veulent la sortir de l’école à quelques mois du Bac, pour la marier au vieux. »

-       Conseille-lui de refuser, dis-je.

-       Et si l’homme en question lui propose une villa, La Mecque pour ses parents, voiture, rente mensuelle, bijoux ?

-       Tout cela ne vaut pas le capital  jeunesse.

-       Je pense comme toi, maman. Je dirai à Binetou de ne pas céder ; mais sa mère est une femme qui veut tellement sortir de sa condition médiocre et qui regrette tant sa beauté fanée dans la fumée des feux de bois , qu’ elle regarde avec envie tout ce que je porte ; elle se plaint à longueur de journée .

-       L’essentiel est Binetou. Qu’elle ne cède pas.

 Et puis, quelques jours après, Daba renoua le dialogue avec sa surprenante conclusion.

 -       Maman ! Binetou, navrée épouse son »vieux ». Sa mère a tellement pleuré. Elle a supplié sa fille de lui  « donner une fin heureuse, dans une vraie maison » que l’homme leur a promise. Alors, elle a cédé.

-       A quand le mariage ?

-       Ce dimanche –ci, mais il n’y aura pas de réception. Binetou ne peut pas supporter les moqueries de ses amies.

 Et , au crépuscule de ce même dimanche où l’ on mariait Binetou , je vis venir dans ma maison , en tenue d’ apparat et solennels , Tamsir , le frère de Modou , entre Mawdo Ba et l’ Imam de son quartier . D’ où sortaient-ils si empruntés dans leurs boubous empesés ?

 Ils venaient sûrement chercher Modou pour une mission importante dont on avait chargé l’un d’eux. Je dis l’absence de Modou depuis le matin. Ils entrèrent en riant, reniflant avec force l’odeur sensuelle de l’encens qui émanait de partout. Je m’assis devant eux en riant aussi.

 L’Imam attaqua :

-       Quand Allah tout puissant met côte-à-côte deux êtres, personne n’y peut rien.

-       Oui, oui appuyèrent les deux autres.

Une pause. Il reprit souffle et continua :

-       Dans ce monde, rien n’est nouveau.

-       Oui, oui renchérirent encore Tamsir et Mawdo.

-       Un fait qu’on trouve triste l’est bien moins que d’autres …

 

Je suivais la mimique des lèvres dédaigneuses d’ où sortaient ces axiomes qui peuvent précéder l’annonce d’un événement heureux ou malheureux. Où voulaient-ils donc en venir avec ce préambule qui annonçait plutôt un orage ? Leur venue n’était donc point hasard .Annonce –t-on un malheur aussi endimanché ? Ou voulait-on inspirer confiance par une mise impeccable ?

 Je pensais à l’absent .j’ interrogeais dans un cri de fauve traqué.

-       Modou ?

 Et l’Imam, qui tenait enfin un fil conducteur, ne le lâcha plus. Il enchaina vite, comme si les mots étaient de braises dans sa bouche :

-       Oui Modou Fall, mais heureusement vivant pour toi, pour nous tous, Dieu merci. Il n’a fait qu’épouser une deuxième femme, ce jour.

-       Nous venons de la Mosquée du Grand-Dakar où a eu lieu le mariage.

 Les épines ainsi ôtées  du chemin par l’Imam, Tamsir osa : « Modou te remercie. Il dit que la fatalité décide des êtres et des choses : Dieu lui a destiné une deuxième femme, il n’y peut rien. Il te félicite pour votre quart de siècle de mariage où tu lui as donné  tous les bonheurs qu’une femme doit à son mari. Sa famille en particulier moi, son frère ainé, te remercions. Tu nous as vénérés. Tu sais que nous sommes le sang de Modou. »

 Et puis, les éternelles paroles qui doivent alléger l’événement : » Rien que toi dans ta maison si grande soit-elle, si chère que soit la vie. Tu es la première femme, une mère pour Modou, une amie pour Modou. »

 La pomme d’Adam de Tamsir dansait dans sa gorge. Il secouait sa jambe gauche croisée sur sa jambe droite repliée. Ses chaussures, des babouches blanches, portaient une légère couche de poussière rouge, la couleur de la terre où elles avaient marché. Cette même poussière était attachée aux chaussures de Mawdo et de l’Imam.

 Mawdo se taisait .Il revivait son drame. Il pensa à ta lettre, à ta réaction, et j’étais si semblable à toi. Il se méfiait. Il gardait la nuque baissée, l’attitude de ceux qui se croient vaincus avant de combattre.

 J’acquiesçais sous les gouttes de poison qui me calcinaient : « Quart de siècle de mariage », « femme incomparable.» Je faisais un compte à rebours pour déceler la cassure du fil à partir de laquelle tout s’est dévidé.

 Les paroles de ma mère me revenaient : « Trop beau, trop parfait. » Je complétais enfin la pensée de ma mère par la fin du dicton : « pour être honnête. » Je pensais aux deux premières incisives supérieures séparées largement par un espace , signe de la primauté de l’ amour en l’ individu.

 Je pensais à son absence toute la journée .Il avait simplement dit : «  Ne m’attendez pas à déjeuner.» Je pensais à d’autres absences, fréquentes ces temps-ci, crûment éclairées Aujourd’ hui et habilement dissimulées hier sous la couverture de réunions syndicales. Il suivait aussi un régime draconien pour casser »l’œuf du ventre », disait –il en riant, cet œuf qui annonçait la vieillesse.

 Quand il sortait chaque soir, il dépliait et essayait plusieurs vêtements avant d’en adopter un. Le reste, nerveusement rejeté, gisait à terre. Il me fallait replier, ranger ; et ce travail supplémentaire, je découvrais que je ne l’effectuais que pour une recherche d’élégance destinée à la séduction d’une autre.

 Je m’appliquais à endiguer mon remous intérieur. Surtout, ne pas donner à mes visiteurs la satisfaction de raconter mon désarroi. Sourire, prendre l’événement à la légère, comme ils l’ont annoncé.

 Les remercier de la façon humaine dont ils ont accompli leur mission. Renvoyer des remerciements à Modou, « le bon père et époux », « un mari devenu un ami. »

Remercier ma belle-famille, l’Imam, Mawdo. Sourire .Leur servir à boire. Les raccompagner sous les volutes de l’encens qu’ils reniflaient encore. Serrer  leurs mains. Comme ils étaient contents, sauf Mawdo qui, lui mesurait la portée de l’événement à sa juste valeur.

 

Offert Par Safiétou GUEYE ,

)i(une chenille devenue un papillon grâce à ce livre)i(

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