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)î(UNE SI LONGUE LETTRE )î(
11 mai 2020

Mariama BA : Une Si Longue Lettre 11

 MB-USLL-0 - (11)

A Abibatou Niang, femme de vertu et de rigueur qui partage mes émotions.

A Annette d’ Erneville, femme de tête et de cœur,

A toutes les femmes et aux hommes de bonne volonté

 Mariama Ba : Une Si Longue Lettre 11

Je sais que je te secoue, que je remue un couteau dans une plaie à peine cicatrisée ; mais que veux tu, je ne peux m’empêcher de me ressourcer dans cette solitude et cette réclusion forcée.

La mère de Mawdo, c’est Tante Nabou pour nous et Seynabou pour les autres.  Elle portait un nom glorieux du Sine : Diouf. Elle est descendante de Bour –Sine.

Elle vivait dans le passé sans prendre conscience du monde qui se muait. Elle s’obstinait dans les vérités anciennes. Fortement attachée à ses origines privilégiées, elle croyait ferme au sang porteur de vertus et répétait en hochant la tête, que le masque de noblesse à la naissance se retrouve dans le comportement.

Et la vie ne l’a point épargnée, la mère de Mawdo Ba. Elle perdit tôt un mari cher, éleva courageusement son aîné Mawdo et deux autres filles, aujourd’hui mariées et …bien mariées.

Elle vouait une affection de tigresse à son « seul homme », Mawdo Ba, et quand elle jurait sur le nez symbole de la vie, que son « seul homme » lui échappait, par la faute de cette maudite bijoutière, pire qu’une griotte. La griotte porte bonheur. Mais une bijoutière !...Elle brûle tout sur son passage comme un feu de forge.

La mère de Mawdo, alors que nous vivions décontractés, considérant ton mariage comme un problème dépassé, elle réfléchissait le jour, elle réfléchissait la nuit, au moyen de se venger de toi, la bijoutière.

Elle décida un beau jour de rendre visite à son jeune frère Farba Diouf , chef coutumier à Diakhao . Elle rangea quelques vêtements bien choisis dans une valise qu’elle m’emprunta, entassa dans un panier divers achats : provisions et denrées chères ou rares en Sine (fruits de France, fromages, confitures), jouets pour ses neveux, coupons de tissu destinés à son frère et à ses quatre femmes.

Elle fit appel à Mawdo pour quelques billets soigneusement pliés et rangés dans son porte monnaie. Elle se fit coiffer, teignit ses pieds et ses mains au henné. Vêtue, parée, elle partit.

La route de Rufisque se dédouble de nos jours, au croisement de Diamenadio : la Nationale 1, à droite, mène au-delà de Mbour, au Sine-Saloum, tandis que la Nationale 2, traversant Thiès et Tivaoune, berceau du Tidianisme- confrérie islamique-  s’élance vers Saint-Louis, na-guére capitale du Sénégal.

Tante Nabou n’avait pas les voies agréables de communication. Dans le car et sur la piste cahotante, avec émotion, elle se retranchait dans ses souvenirs. la vitesse vertigineuse du véhicule, qui l’emportait vers les lieux de son enfance, ne l’empêchait pas de reconnaitre le paysage familier. Voici Sindhia, puis à gauche, Popenguine où les gourmettes –catholiques noires ou métisses-  festoient à la Pentecôte.

Que de générations ont vu défiler ce même paysage figé ! Tante Nabou constatait la vulnérabilité des êtres face à l’éternité de la nature. Par sa durée, la nature défie le temps et prend sa revanche sur l’homme.

Les baobabs tendaient aux cieux les nœuds géants de leurs branches ; des vaches traversaient avec lenteur le chemin et défiaient de leur regard morne les véhicules ; des bergers, en culottes bouffantes, un bâton sur l’épaule ou à la main, canalisaient les bêtes. Homme et animaux se fondaient comme un tableau venu du fond des âges.

Tante Nabou fermait les yeux chaque fois que le car croisait un véhicule. Les gros camions et leurs énormes chargements surtout l’effrayaient.

La belle mosquée « Médinatoul-mounaouara »n’était pas encore édifiée à la gloire de l’islam ; mais dans le même élan pieux, hommes et femmes priaient en bordure de la route. « Pour se convaincre de la survie des traditions, il faut sortir de Dakar », murmurait Tante Nabou.

Des épineux bordaient à gauche la forêt de Ndiassane ; des singes s’en échappaient pour se grise de lumière.

Voici Thiadiaye, Tataguine, Diouroupe, puis Ndioudiouf et enfin Fatick, capitale du Sine. Essoufflé et fumeux, le car bifurqua à gauche. Des secousses, des secousses encore.

Enfin Diakhao, Diakhao la Royale, Diakhao, berceau et tombeau des Bour-Sine, Diakhao de ses ancêtres, Diakhao, la bien-aimée, avec la vaste concession de son ancien palais.

Les mêmes lourdeurs meurtrissaient son corps, à chaque visite au domaine familial.

Avant toute chose, de l’eau pour des ablutions et une natte pour prier et se recueillir face à la tombe de l’aïeul. Ensuite, elle promena son regard empreint de tristesse et chargé d’histoire sur les autres tombes.

Ici, les morts cohabitaient avec les vivants dans l’enceinte familiale : chaque roi, au retour d’un sacre, plantait dans la cour deux arbres qui délimitaient sa dernière demeure. Tante Nabou lança vers ces repaires mortuaires des versets psalmodiés avec ferveur. Elle avait un masque tragique, dans ces lieux de grandeur qui chantaient le passé, au son des junjun-tam-tams royaux -.

Ton existence, Aissatou, ne ternira jamais sa noble descendance, jura-t-elle.

Associant dans sa pensée rites antiques et religion, elle se rappela le lait à verser dans le Sine pour l’apaisement des esprits invisibles. Demain, elle irait faire dans l’eau ses offrandes pour se préserver du mauvais œil, tout en s’attirant la sympathie des tuur-compagnons invisibles-

Royalement accueillie, elle rentra aussitôt dans ses prérogatives d’aînée du maitre de maison. On ne lui parlait que genoux à terre. Elle prenait ses repas seule, servie de ce qu’il ya de meilleur dans les marmites.

Les visiteurs vinrent de partout pour l’honorer, lui rappelant ainsi la véracité de la loi de sang. Ils ressuscitèrent pour elle l’exploit de l’aïeul Bour-Sine et la poussière des combats et de l’ardeur des chevaux pur sang …

Elle puisa force et vigueur dans les cendre ancestrales remuées, au son électrique des koras, grisée des senteurs lourdes de l’encens brûlée. Elle convoqua son frère.

-       J’ai besoin lui dit-elle, d’une enfant à mes côtés, pour meubler mon cœur ; je veux que cette enfant soit, à la fois, mes jambes et mon bras droit. Je vieillis. Je ferai de cette enfant une autre moi-même. La maison est vide depuis que les miens sont mariés.

Elle pensait à toi, fignolant sa vengeance, mais se garda bien de parler de toi , de la haine qu’ elle t’ avait vouée .

-       Qu’à cela ne tienne, rétorqua Farba Diouf. Je ne t’ai jamais proposé d’éduquer l’une de mes filles par crainte de te fatiguer. Or les jeunes d’aujourd’hui sont difficiles à tenir. Prends la petite Nabou, ton homonyme. Elle est à toi. je ne te demande que ses os.

Satisfaite, Tante Nabou refit sa valise, mit dans ses paniers tout ce que l’on trouve en brousse et qui est cher en ville : couscous séché, pâte d’arachides grillées, mil, œuf, lait, poules. La petite Nabou bien prise dans sa main droite, elle reprit le chemin inverse.

 

Offert Par Safiétou GUEYE ,

)i(une chenille devenue un papillon grâce à ce livre)i(

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  • Un roman épistolaire où Ramatoulaye Fall raconte à Aissatou, son amie de longue date, son veuvage et sa vie de femme, de mère. Ce roman célèbre aborde le statut des femmes au Sénégal et plus largement en Afrique de l’Ouest.
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